Dans une société en mutation digitale et sociale, une rumeur peut rapidement s’amplifier et dégrader l’image d’une marque, d’une entreprise ou d’une personne. Alors comment réagir en cas de situation imprévue? C’est avec cette question que nous avons approché Claude Sauber. Directeur associé chez binsfeld depuis 1997, Mr. Sauber possède plus de 25 ans d’expérience dans les domaines de la communication, des relations publiques, du marketing et de l’entrepreneuriat. Avec son associé Philippe Beck, spécialisé en matière de gouvernance et de responsabilité, il a créé en 2015 Oxygen & Partners, une agence de relations publiques spécialisée dans la communication sensible et de crise. Nous avons interrogé les deux partenaires afin de comprendre comment ils anticipent, gèrent les situations sensibles et de crise, préservent et développent la réputation de leurs clients.
Votre agence Oxygen & Partners est spécialisée dans la communication dite sensible. Concrètement, quelles sont vos activités ?
Claude Sauber : Le coeur de notre métier consiste à accompagner et conseiller le client dans la gestion et la protection de sa réputation sur des sujets sensibles ou à des moments de crise. Le principe de précaution s’applique et, avec lui, celui de prévention. Il s’agit de bien identifier et d’anticiper les situations à risques. Notre objectif est de préparer la communication ou l’information pour éviter la crise. Pour cela, nous formons les équipes de communication de nos clients afin qu’elles puissent, en cas de besoin, prendre rapidement la parole et passer le message juste.
Philippe Beck : À côté de la protection d’une réputation à travers la gestion de situations sensibles, une réputation se doit aussi d’être entretenue et peut être développée et renforcée. Nous avons différents leviers à notre disposition: la gestion des relations avec les différentes parties prenantes, le positionnement des cadres d’une entreprise, les engagements en RSE ou philanthropiques. Tout comme il y a des risques à gérer en communication, il y a souvent des opportunités à saisir. Les deux volets se complètent.
L’entité Oxygen & Partners est-elle liée d’une manière ou d’une autre à l’agence binsfeld ?
CS : Il y a un lien historique, puisque l’idée d’Oxygen est née dans l’agence binsfeld. Mais, légalement, ce sont deux entités séparées. Nous partageons des valeurs, des principes et une philosophie de travail. Il y a beaucoup de complémentarité et d’échanges d’expertise entre nous.
Quel a été l’élément déclencheur pour créer cette structure avec votre associé Philippe Beck ?
CS : À l’époque, binsfeld a proposé des locaux de travail à L-Pod, une start-up active dans la production de sites internet et de vidéos, dont Philippe Beck, toujours étudiant, était l’un des associés. Nous avons eu beaucoup d’échanges sur des sujets de gouvernance, de réputation, de crise et nous avons constaté qu’il y avait des besoins spécifiques, dans un monde de plus en plus exigeant en matière de responsabilités sociales. Avec Philippe, nous avons une excellente complémentarité, c’est pourquoi nous avons voulu développer une activité et la doter d’une marque et d’un positionnement propre, complémentaire à binsfeld.
L’évolution des médias, et notamment la montée en force des réseaux sociaux ont-elles impacté le métier ?
CS : Lorsque l’on parle de communication de crise, historiquement, les gens pensent aux accidents, aux problèmes sanitaires ou aux contaminations alimentaires. Mais, avec une société en mutation digitale et sociale, les attentes accrues en matière de responsabilité, d’information et de transparence et le développement des médias sociaux, ce champ de communication s’est élargi. Aujourd’hui, un nombre impressionnant d’informations sont échangées, de manière très rapide et condensée. Cela augmente le risque de mal communiquer ou de désinformation.
PB : Les gens ont une sensibilité exacerbée, ils sont plus méfiants et réagissent plus rapidement. On a ainsi augmenté les risques de mésentente et d’interprétations erronées. Il a fallu adapter la communication, car toute situation sensible comporte un risque d’amplification si elle est identifiée trop tard, mal jugée ou prise en charge de manière inappropriée.
Sur ce sujet, le marché luxembourgeois impose-t-il des exigences particulières ?
CS : Au Luxembourg, il faut tenir compte de nombreuses communautés, de la variété culturelle et de la sensibilité du pays par rapport à certains sujets (croissance, environnement, langues…). Notre valeur ajoutée est d’accompagner les équipes de communication de nos clients tout en prenant en compte ces facteurs. Il est donc essentiel de bien connaître le marché, de bien comprendre le métier du client et de travailler avec un réseau de partenaires pour bénéficier d’expertises complémentaires.
PB : Évidemment, nous collaborons étroitement avec binsfeld, mais également avec accentaigu, vidalegloesener et des partenaires freelances. Pour pouvoir proposer des solutions à l’international, nous travaillons avec l’International Public Relations Network, un réseau constitué d’agences de communication et de relations publiques regroupant 45 membres dans le monde. Il s’agit d’une plateforme d’échange de bonnes pratiques, mais aussi d’une source de solutions pragmatiques et de contacts permettant de bénéficier de relais locaux dans de nombreux pays.
Comment appréhendez-vous les sujets sensibles des entrepises et des marques qui font appel à vous? Y a-t-il une « formule » Oxygen ?
CS : Notre approche est individualisée et adaptée au cas par cas. Au-delà des crises, nous évaluons des risques. Le point de départ, c’est le monitoring digital. Il s’agit de passer en revue la presse et les réseaux sociaux pour surveiller ce qui se dit sur un sujet, une marque ou une personne. Le but est d’anticiper un problème pour éviter les malentendus.
PB : Ensuite, il est primordial de faire un inventaire exhaustif de toutes les parties prenantes, afin d’adapter au mieux la communication ou l’information tout simplement. Nous devons aussi cerner précisément les risques, les opportunités, les faiblesses et les forces du client dans un document de positionnement.
CS : Il est également nécessaire de bien choisir la personne qui prendra la parole en cas de crise. Cela doit être quelqu’un de la société, pour garantir l’authenticité du message. Nous pouvons l’aider avec des formations de Message training ou de Media training. En cas de crise, un client bien préparé saura passer le juste message rapidement. Il connaîtra aussi les priorités d’information de ses parties prenantes. Voilà quelques-uns des points de notre méthodologie, sans oublier les documents de questions-réponses, les relations presse, etc.
Qui dit crise dit généralement situation de stress. Qu’en retirez-vous personnellement ?
CS : Ce qui m’intéresse dans ce métier, c’est de tout faire pour éviter qu’une réputation ou une image de marque soit détruite en 5 minutes, alors qu’il a fallu des années pour la construire. Tous les profils d’entreprise peuvent être exposés à des situations sensibles, c’est d’ailleurs ce qui rend le métier si enrichissant! J’aime aussi l’aspect tactique de cette communication. Je m’inspire beaucoup des principes de gestion du risque, de comportement humain et de surcharge mentale. Si nous devons mettre en place toute une stratégie pour gérer une situation sensible, parfois, il suffit d’un simple message envoyé à la bonne personne pour désamorcer une affaire délicate.
En guise de conclusion, quel serait votre meilleur conseil ?
CS : Il faut être conscient qu’on peut toujours rencontrer des impondérables et des imprévus. Il est fondamental d’être informé, d’avoir une vue précise de la situation pour prendre rapidement les bonnes décisions. Il est ainsi indispensable d’utiliser un outil de monitoring des médias performant, d’avoir une organisation cohérente et efficace pour le transfert d’informations et pour la prise de décision. Il est aussi essentiel de communiquer en accord avec ses valeurs: chercher à entretenir une culture d’entreprise, cartographier les risques menaçant sa réputation. Changer d’altitude en situation délicate ou changer d’angle de vue nous permet souvent de trouver de nouvelles directions, des solutions inédites et d’éviter un emballement de la situation.
Article publié dans adada offline n°1 – juin 2019
Photos : Julian Benini